Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 24


Si d’Artagnan joua la surprise, Aramis ne la joua pas ; il tressaillit en voyant ses deux amis, et son émotion fut visible.


Cependant Athos et d’Artagnan faisaient leurs compliments, et Baisemeaux, étonné, abasourdi de la présence de ces trois hôtes, commençait mille évolutions autour d’eux.


– Ah çà ! dit Aramis, par quel hasard ?…


– Nous vous le demandons, riposta d’Artagnan.


– Est-ce que nous nous constituons tous prisonniers ? s’écria Aramis avec l’affectation de l’hilarité.


– Eh ! eh ! fit d’Artagnan, il est vrai que les murs sentent la prison en diable. Monsieur de Baisemeaux, vous savez que vous m’avez invité à dîner l’autre jour ?


– Moi ? s’écria Baisemeaux ?


– Ah çà ! mais on dirait que vous tombez des nues. Vous ne vous souvenez pas ?


Baisemeaux pâlit, rougit, regarda Aramis qui le regardait, et finit par balbutier :

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– Certes… je suis ravi… mais… sur l’honneur… je ne… Ah !

misérable mémoire !


– Eh ! mais j’ai tort, dit d’Artagnan comme un homme fâché.


– Tort, de quoi ?


– Tort de me souvenir, à ce qu’il paraît.


Baisemeaux se précipita vers lui.


– Ne vous formalisez pas, cher capitaine, dit-il ; je suis la plus pauvre tête du royaume. Sortez-moi de mes pigeons et de leur colombier, je ne vaux pas un soldat de six semaines.


– Enfin, maintenant, vous vous souvenez, dit d’Artagnan avec aplomb.


– Oui, oui, répliqua le gouverneur hésitant, je me souviens.


– C’était chez le roi ; vous me disiez je ne sais quelles histoires sur vos comptes avec MM. Louvières et Tremblay.


– Ah ! oui, parfaitement !


– Et sur les bontés de M. d’Herblay pour vous.


– Ah ! s’écria Aramis en regardant au blanc des yeux le malheureux gouverneur, vous disiez que vous n’aviez pas de mémoire, monsieur Baisemeaux !


Celui-ci interrompit court le mousquetaire.


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– Comment donc ! c’est cela ; vous avez raison. Il me semble que j’y suis encore. Mille millions de pardons ! Mais, notez bien ceci, cher monsieur d’Artagnan, à cette heure comme aux autres, prié ou non prié, vous êtes le maître chez moi, vous et monsieur d’Herblay, votre ami, dit-il en se tournant vers Aramis, et Monsieur, ajouta-t-il en saluant Athos.


– J’ai bien pensé à tout cela, répondit d’Artagnan. Voici pourquoi je venais : n’ayant rien à faire ce soir au Palais-Royal, je voulais tâter de votre ordinaire, quand, sur la route, je rencontrai M. le comte.


Athos salua.


– M. le comte, qui quittait Sa Majesté, me remit un ordre qui exige prompte exécution. Nous étions près d’ici ; j’ai voulu poursuivre, ne fût-ce que pour vous serrer la main et vous présenter Monsieur, dont vous me parlâtes si avantageusement chez le roi, ce même soir où…