Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 29


– J’attends que Votre Majesté me dise ce que je suis.


– Eh bien ! vous êtes un frondeur !


– Depuis qu’il n’y a plus de Fronde, alors, Sire…

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– Mais, si ce que vous dites est vrai…


– Ce que je dis est toujours vrai, Sire.


– Que venez-vous faire ici ? Voyons.


– Je viens ici dire au roi : Sire, M. de La Fère est à la Bastille…


– Ce n’est point votre faute, à ce qu’il paraît.


– C’est vrai, Sire, mais enfin, il y est, et, puisqu’il y est, il est important que Votre Majesté le sache.


– Ah ! monsieur d’Artagnan, vous bravez votre roi !


– Sire…


– Monsieur d’Artagnan, je vous préviens que vous abusez de ma patience.


– Au contraire, Sire.


– Comment, au contraire ?


– Je viens me faire arrêter aussi.


– Vous faire arrêter, vous ?


– Sans doute. Mon ami va s’ennuyer là-bas, et je viens proposer à Votre Majesté de me permettre de lui faire compagnie ; que Votre Majesté dise un mot, et je m’arrête moi-même ; je n’aurai pas besoin du capitaine des gardes pour cela, je vous en réponds.


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Le roi s’élança vers la table et saisit une plume pour donner l’ordre d’emprisonner d’Artagnan.


– Faites attention que c’est pour toujours, monsieur, s’écria-t-il avec l’accent de la menace.


– J’y compte bien, reprit le mousquetaire ; car lorsqu’une fois vous aurez fait ce beau coup-là, vous n’oserez plus me regarder en face.


Le roi jeta sa plume avec violence.


– Allez-vous-en ! dit-il.


– Oh ! non pas, Sire, s’il plaît à Votre Majesté.


– Comment, non pas ?


– Sire, je venais pour parler doucement au roi ; le roi s’est emporté, c’est un malheur, mais je n’en dirai pas moins au roi ce que j’ai à lui dire.


– Votre démission, monsieur, s’écria le roi !


– Sire, vous savez que ma démission ne me tient pas au cœur, puisque, à Blois, le jour où Votre Majesté a refusé au roi Charles le million que lui a donné mon ami le comte de La Fère, j’ai offert ma démission au roi.


– Eh bien ! alors, faites vite.


– Non, Sire ; car ce n’est point de ma démission qu’il s’agit ici ; Votre Majesté avait pris la plume pour m’envoyer à la Bastille, pourquoi change-t elle d’avis ?


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– D’Artagnan ! tête gasconne ! qui est le roi de vous ou de moi !

Voyons.


– C’est vous, Sire, malheureusement.


– Comment, malheureusement ?


– Oui, Sire ; car, si c’était moi…


– Si c’était vous, vous approuveriez la rébellion de M. d’Artagnan, n’est-ce pas ?


– Oui, certes !


– En vérité ?


Et le roi haussa les épaules.


– Et je dirais à mon capitaine des mousquetaires, continua d’Artagnan, je lui dirais en le regardant avec des yeux humains et non avec des charbons enflammés, je lui dirais : « Monsieur d’Artagnan, j’ai oublié que je suis le roi. Je suis descendu de mon trône pour outrager un gentilhomme. »