– J’attends que Votre Majesté me dise ce que je suis.
– Eh bien ! vous êtes un frondeur !
– Depuis qu’il n’y a plus de Fronde, alors, Sire…
– 62 –
– Mais, si ce que vous dites est vrai…
– Ce que je dis est toujours vrai, Sire.
– Que venez-vous faire ici ? Voyons.
– Je viens ici dire au roi : Sire, M. de La Fère est à la Bastille…
– Ce n’est point votre faute, à ce qu’il paraît.
– C’est vrai, Sire, mais enfin, il y est, et, puisqu’il y est, il est important que Votre Majesté le sache.
– Ah ! monsieur d’Artagnan, vous bravez votre roi !
– Sire…
– Monsieur d’Artagnan, je vous préviens que vous abusez de ma patience.
– Au contraire, Sire.
– Comment, au contraire ?
– Je viens me faire arrêter aussi.
– Vous faire arrêter, vous ?
– Sans doute. Mon ami va s’ennuyer là-bas, et je viens proposer à Votre Majesté de me permettre de lui faire compagnie ; que Votre Majesté dise un mot, et je m’arrête moi-même ; je n’aurai pas besoin du capitaine des gardes pour cela, je vous en réponds.
– 63 –
Le roi s’élança vers la table et saisit une plume pour donner l’ordre d’emprisonner d’Artagnan.
– Faites attention que c’est pour toujours, monsieur, s’écria-t-il avec l’accent de la menace.
– J’y compte bien, reprit le mousquetaire ; car lorsqu’une fois vous aurez fait ce beau coup-là, vous n’oserez plus me regarder en face.
Le roi jeta sa plume avec violence.
– Allez-vous-en ! dit-il.
– Oh ! non pas, Sire, s’il plaît à Votre Majesté.
– Comment, non pas ?
– Sire, je venais pour parler doucement au roi ; le roi s’est emporté, c’est un malheur, mais je n’en dirai pas moins au roi ce que j’ai à lui dire.
– Votre démission, monsieur, s’écria le roi !
– Sire, vous savez que ma démission ne me tient pas au cœur, puisque, à Blois, le jour où Votre Majesté a refusé au roi Charles le million que lui a donné mon ami le comte de La Fère, j’ai offert ma démission au roi.
– Eh bien ! alors, faites vite.
– Non, Sire ; car ce n’est point de ma démission qu’il s’agit ici ; Votre Majesté avait pris la plume pour m’envoyer à la Bastille, pourquoi change-t elle d’avis ?
– 64 –
– D’Artagnan ! tête gasconne ! qui est le roi de vous ou de moi !
Voyons.
– C’est vous, Sire, malheureusement.
– Comment, malheureusement ?
– Oui, Sire ; car, si c’était moi…
– Si c’était vous, vous approuveriez la rébellion de M. d’Artagnan, n’est-ce pas ?
– Oui, certes !
– En vérité ?
Et le roi haussa les épaules.
– Et je dirais à mon capitaine des mousquetaires, continua d’Artagnan, je lui dirais en le regardant avec des yeux humains et non avec des charbons enflammés, je lui dirais : « Monsieur d’Artagnan, j’ai oublié que je suis le roi. Je suis descendu de mon trône pour outrager un gentilhomme. »