Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 28


– Qu’a dit le comte ? reprit-il négligemment.


– Mais rien, Sire.


– Cependant, il ne s’est pas laissé arrêter sans rien dire ?


– Il a dit qu’il s’attendait à être arrêté, Sire.


Le roi releva la tête avec fierté.


– Je présume que M. le comte de La Fère n’a pas continué son rôle de rebelle ? dit-il.


– D’abord, Sire, qu’appelez-vous rebelle

? demanda

tranquillement le mousquetaire. Un rebelle aux yeux du roi, est-ce l’homme qui, non seulement se laisse coffrer à la Bastille, mais qui encore résiste à ceux qui ne veulent pas l’y conduire ?


– Qui ne veulent pas l’y conduire ? s’écria le roi. Qu’entends-je là, capitaine ? Êtes-vous fou ?


– Je ne crois pas, Sire.


– Vous parlez de gens qui ne voulaient pas arrêter M. de La Fère ?…


– Oui, Sire.


– Et quels sont ces gens-là ?

– 60 –


– Ceux que Votre Majesté en avait chargés, apparemment, dit le mousquetaire.


– Mais c’est vous que j’en avais chargé, s’écria le roi.


– Oui, Sire, c’est moi.


– Et vous dites que, malgré mon ordre, vous aviez l’intention de ne pas arrêter l’homme qui m’avait insulté ?


– C’était absolument mon intention, oui, Sire.


– Oh !


– Je lui ai même proposé de monter sur un cheval que j’avais fait préparer pour lui à la barrière de la Conférence.


– Et dans quel but aviez-vous fait préparer ce cheval ?


– Mais, Sire, pour que M. le comte de La Fère pût gagner Le Havre et, de là, l’Angleterre.


– Vous me trahissiez donc, alors, monsieur ? s’écria le roi étincelant de fierté sauvage.


– Parfaitement.


Il n’y avait rien à répondre à des articulations faites sur ce ton.

Le roi sentit une si rude résistance, qu’il s’étonna.


– Vous aviez au moins une raison, monsieur d’Artagnan, quand vous agissiez ainsi ? interrogea le roi avec majesté.


– J’ai toujours une raison, Sire.

– 61 –


– Ce n’est pas la raison de l’amitié, au moins, la seule que vous puissiez faire valoir, la seule qui puisse vous excuser, car je vous avais mis bien à l’aise sur ce chapitre.


– Moi, Sire ?


– Ne vous ai-je pas laissé le choix d’arrêter ou de ne pas arrêter M. le comte de La Fère ?


– Oui, Sire ; mais…


– Mais quoi ? interrompit le roi impatient.


– Mais en me prévenant, Sire, que, si je ne l’arrêtais pas, votre capitaine des gardes l’arrêterait, lui.


– Ne vous faisais-je pas la partie assez belle, du moment où je ne vous forçais pas la main ?


– À moi, oui, Sire ; à mon ami, non.


– Non ?


– Sans doute, puisque, par moi ou par le capitaine des gardes, mon ami était toujours arrêté.


– Et voilà votre dévouement, monsieur ? un dévouement qui raisonne, qui choisit ? Vous n’êtes pas un soldat, monsieur !