Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 70


– Mais vous rappelez-vous aussi l’époque où il a commencé d’engraisser ?


– Non, pas précisément. Je vous demande pardon, mon cher Mouston.


– Oh ! Monsieur n’est pas fautif, dit Mouston d’un air aimable, Monsieur était à Paris, et nous étions, nous, à Pierrefonds.


– Enfin, mon cher Porthos, il y a un moment où Mouston s’est mis à engraisser. Voilà ce que vous voulez dire, n’est-ce pas ?


– Oui, mon ami, et je m’en réjouis fort à cette époque.


– Peste ! je le crois bien, fit d’Artagnan.


– Vous comprenez, continua Porthos, ce que cela m’épargnait de peine ?


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– Non, mon cher ami, je ne comprends pas encore ; mais, à force de m’expliquer…


– M’y voici, mon ami. D’abord, comme vous l’avez dit, c’est une perte de temps que de donner sa mesure, ne fût-ce qu’une fois tous les quinze jours. Et puis on peut être en voyage, et, quand on veut avoir toujours sept habits en train… Enfin, mon ami, j’ai horreur de donner ma mesure à quelqu’un. On est gentilhomme ou on ne l’est pas, que diable ! Se faire toiser par un drôle qui vous analyse au pied, pouce et ligne, c’est humiliant. Ces gens-là vous trouvent trop creux ici, trop saillant là ; ils connaissent votre fort et votre faible. Tenez, quand on sort des mains d’un mesureur, on ressemble à ces places fortes dont un espion est venu relever les angles et les épaisseurs.


– En vérité, mon cher Porthos, vous avez des idées qui n’appartiennent qu’à vous.


– Ah ! vous comprenez, quand on est ingénieur.


– Et qu’on a fortifié Belle-Île, c’est juste, mon ami.


– J’eus donc une idée, et, sans doute, elle eût été bonne sans la négligence de M. Mouston.


D’Artagnan jeta un regard sur Mouston, qui répondit à ce regard par un léger mouvement de corps qui voulait dire : « Vous allez voir s’il y a de ma faute dans tout cela. »


– Je m’applaudis donc, reprit Porthos, de voir engraisser Mouston, et j’aidai même, de tout mon pouvoir, à lui faire de l’embonpoint, à l’aide d’une nourriture substantielle, espérant toujours qu’il parviendrait à m’égaler en circonférence, et qu’alors il pourrait se faire mesurer à ma place.


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– Ah ! corbœuf ! s’écria d’Artagnan, je comprends… Cela vous épargnait le temps et l’humiliation.


– Parbleu ! jugez donc de ma joie quand, après un an et demi de nourriture bien combinée, car je prenais la peine de le nourrir moi-même, ce drôle-là…


– Oh ! et j’y ai bien aidé, monsieur, dit modestement Mouston.


– Ça, c’est vrai. Jugez donc de ma joie, lorsque je m’aperçus qu’un matin Mouston était forcé de s’effacer comme je m’effaçais moi-même, pour passer par la petite porte secrète que ces diables d’architectes ont faite dans la chambre de feu Mme du Vallon, au château de Pierrefonds. Et, à propos de cette porte, mon ami, je vous demanderai, à vous qui savez tout, comment ces bélîtres d’architectes, qui doivent avoir, par état, le compas dans l’œil, imaginent de faire des portes par lesquelles ne peuvent passer que des gens maigres.