– Et Mouston aurait-il négligé d’obéir à votre
recommandation ? Ah ! ah ! ce serait mal, Mouston !
– Au contraire, monsieur, au contraire !
– Non, il n’a pas oublié de se faire faire des habits, mais il a oublié de me prévenir qu’il engraissait.
– Dame ! ce n’est pas ma faute, monsieur, votre tailleur ne me l’a pas dit.
– De sorte, continua Porthos, que le drôle, depuis deux ans, a gagné dix-huit pouces de circonférence, et que mes douze derniers habits sont tous trop larges progressivement, d’un pied à un pied et demi.
– Mais les autres, ceux qui se rapprochent du temps où votre taille était la même ?
– Ils ne sont plus de mode, mon cher ami, et, si je les mettais, j’aurais l’air d’arriver de Siam et d’être hors de cour depuis deux ans.
– 156 –
– Je comprends votre embarras. Vous avez combien d’habits neufs ? trente-six ? et vous n’en avez pas un ! Eh bien ! il faut en faire faire un trente-septième ; les trente-six autres seront pour Mouston.
– Ah ! monsieur ! dit Mouston d’un air satisfait, le fait est que Monsieur a toujours été bien bon pour moi.
– Parbleu ! croyez-vous que cette idée ne me soit pas venue ou que la dépense m’ait arrêté ? Mais il n’y a plus que deux jours d’ici à la fête de Vaux ; j’ai reçu l’invitation hier, j’ai fait venir Mouston en poste avec ma garde-robe ; je me suis aperçu du malheur qui m’arrivait ce matin seulement, et, d’ici à après-demain, il n’y a pas un tailleur un peu à la mode qui se charge de me confectionner un habit.
– C’est-à-dire un habit couvert d’or, n’est-ce pas ?
– J’en veux partout !
– Nous arrangerons cela. Vous ne partez que dans trois jours.
Les invitations sont pour mercredi et nous sommes le dimanche matin.
– C’est vrai ; mais Aramis m’a bien recommandé d’être à Vaux vingt quatre heures d’avance.
– Comment, Aramis ?
– Oui, c’est Aramis qui m’a apporté l’invitation.
– Ah ! fort bien, je comprends. Vous êtes invité du côté de M. Fouquet.
– 157 –
– Non pas ! Du côté du roi, cher ami. Il y a sur le billet, en toutes lettres : « M. le baron du Vallon est prévenu que le roi a daigné le mettre sur la liste de ses invitations… »
– Très bien, mais c’est avec M. Fouquet que vous partez.
– Et quand je pense, s’écria Porthos en défonçant le parquet d’un coup de pied, quand je pense que je n’aurai pas d’habits ! J’en crève de colère ! Je voudrais bien étrangler quelqu’un ou déchirer quelque chose !
– N’étranglez personne et ne déchirez rien, Porthos, j’arrangerai tout cela : mettez un de vos trente-six habits et venez avec moi chez un tailleur.