Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 77


La procession des seigneurs mécontents faisait un tableau plein de détails curieux.


Notre capitaine des mousquetaires, homme au regard rapide et sûr, l’embrassa d’un seul coup d’œil. Mais, après avoir parcouru les groupes, ce regard s’arrêta sur un homme placé en face de lui. Cet homme, assis sur un escabeau, dépassait de la tête à peine le comptoir qui l’abritait. C’était un homme de quarante ans à peu près, à la physionomie mélancolique, au visage pâle, aux yeux doux et lumineux. Il regardait d’Artagnan et les autres, une main sous son menton, en amateur curieux et calme. Seulement, en apercevant et en reconnaissant, sans doute, notre capitaine, il rabattit son chapeau sur ses yeux.


Ce fut peut-être ce geste qui attira le regard de d’Artagnan. S’il en était ainsi, il en était résulté que l’homme au chapeau rabattu avait atteint un but tout différent de celui qu’il s’était proposé.


Au reste, le costume de cet homme était assez simple, et ses cheveux étaient assez uniment coiffés pour que des clients peu observateurs le prissent pour un simple garçon tailleur accroupi derrière le chêne, et piquant, avec exactitude, le drap et le velours.


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Toutefois, cet homme avait trop souvent la tête en l’air pour travailler fructueusement avec ses doigts.


D’Artagnan n’en fut pas dupe, lui, et il vit bien que, si cet homme travaillait, ce n’était pas, assurément, sur les étoffes.


– Hé ! dit-il en s’adressant à cet homme, vous voilà donc devenu garçon tailleur, monsieur Molière ?


– Chut ! monsieur d’Artagnan, répondit doucement l’homme, chut ! au nom du Ciel ! vous m’allez faire reconnaître.


– Eh bien ! où est le mal ?


– Le fait est qu’il n’y a pas de mal, mais…


– Mais vous voulez dire qu’il n’y a pas de bien non plus, n’est-ce pas ?


– Hélas ! non, car j’étais, je vous l’affirme, occupé à regarder de bien bonnes figures.


– Faites, faites, monsieur Molière. Je comprends l’intérêt que la chose a pour vous, et… je ne vous troublerai point dans vos études.


– Merci !


– Mais à une condition : c’est que vous me direz où est réellement M. Percerin.


– Oh ! cela, volontiers : dans son cabinet. Seulement…


– Seulement, on ne peut pas y entrer ?


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– Inabordable !


– Pour tout le monde ?


– Pour tout le monde. Il m’a fait entrer ici, afin que je fusse à l’aise pour y faire mes observations et puis il s’en est allé.


– Eh bien ! mon cher monsieur Molière, vous l’allez prévenir que je suis là, n’est-ce pas ?


– Moi ? s’écria Molière du ton d’un brave chien à qui l’on retire l’os qu’il a légitimement gagné ; moi, me déranger ? Ah ! monsieur d’Artagnan, comme vous me traitez mal !