Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 76


– C’est vrai ; mais regardez.


– Eh bien ! je regarde, et je vois…


– Quoi ?


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– Que nous sommes aux Halles, pardieu !


– Vous ne voulez pas, sans doute, que nos chevaux montent sur le carrosse qui nous précède ?


– Non.


– Ni que le carrosse qui nous précède monte sur celui qui est devant.


– Encore moins.


– Ni que le deuxième carrosse passe sur le ventre aux trente ou quarante autres qui sont arrivés avant nous ?


– Ah ! par ma foi ! vous avez raison.


– Ah !


– Que de gens, mon cher, que de gens !


– Hein ?


– Et que font-ils là, tous ces gens ?


– C’est bien simple : ils attendent leur tour.


– Bah ! les comédiens de l’hôtel de Bourgogne seraient-ils déménagés ?


– Non, leur tour pour entrer chez M. Percerin.


– Mais nous allons donc attendre aussi, nous.


– Nous, nous serons plus ingénieux et moins fiers qu’eux.

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– Qu’allons-nous faire, donc ?


– Nous allons descendre, passer parmi les pages et les laquais, et nous entrerons chez le tailleur, c’est moi qui vous en réponds, surtout si vous marchez le premier.


– Allons, fit Porthos.


Et tous deux, étant descendus, s’acheminèrent à pied vers la maison.


Ce qui causait cet encombrement, c’est que la porte de M. Percerin était fermée, et qu’un laquais, debout à cette porte, expliquait aux illustres pratiques de l’illustre tailleur que, pour le moment, M. Percerin ne recevait personne. On se répétait au-dehors, toujours d’après ce qu’avait dit confidentiellement le grand laquais à un grand seigneur pour lequel il avait des bontés, on se répétait que M. Percerin s’occupait de cinq habits pour le roi, et que, vu l’urgence de la situation il méditait dans son cabinet les ornements, la couleur et la coupe de ces cinq habits.


Plusieurs, satisfaits de cette raison, s’en retournaient heureux de la dire aux autres, mais plusieurs aussi, plus tenaces, insistaient pour que la porte leur fût ouverte, et, parmi ces derniers, trois cordons bleus désignés pour un ballet qui manquerait infailliblement si les trois cordons bleus n’avaient pas des habits taillés de la main même du grand Percerin.


D’Artagnan, poussant devant lui Porthos, qui effondra les groupes, parvint jusqu’aux comptoirs, derrière lesquels les garçons tailleurs s’escrimaient à répondre de leur mieux.


Nous oublions de dire qu’à la porte on avait voulu consigner Porthos comme les autres, mais d’Artagnan s’était montré, avait prononcé ces seules paroles :

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– Ordre du roi !


Et il avait été introduit avec son ami.


Ces pauvres diables avaient fort à faire et faisaient de leur mieux pour répondre aux exigences des clients en l’absence du patron, s’interrompant de piquer un point pour tourner une phrase, et quand l’orgueil blessé ou l’attente déçue les gourmandait trop vivement, celui qui était attaqué faisait un plongeon et disparaissait sous le comptoir.