Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 91


– Ne dites pas cela, mon cher ; vous devenez trop exclusif, et vous avez du bon dans vos fables.


– Et pour commencer, continua La Fontaine poursuivant son idée, je vais brûler une centaine de vers que je venais de faire.


– 196 –


– Où sont-ils, vos vers ?


– Dans ma tête.


– Eh bien, s’ils sont dans votre tête, vous ne pouvez pas les brûler ?


– C’est vrai, dit La Fontaine. Si je ne les brûle pas, cependant…


– Eh bien, qu’arrivera-t-il si vous ne les brûlez pas ?


– Il arrivera qu’ils me resteront dans l’esprit, et que je ne les oublierai jamais.


– Diable ! fit Loret, voilà qui est dangereux ; on en devient fou !


– Diable, diable, diable ! comment faire ? répéta La Fontaine.


– J’ai trouvé un moyen, moi, dit Molière, qui venait d’entrer sur les derniers mots.


– Lequel ?


– Écrivez-les d’abord, et brûlez-les ensuite.


– Comme c’est simple ! Eh bien, je n’eusse jamais inventé cela.

Qu’il a d’esprit, ce diable de Molière ! dit La Fontaine.


Puis, se frappant le front :


– Ah ! tu ne seras jamais qu’un âne, Jean de La Fontaine, ajouta-t-il.


– Que dites-vous là, mon ami ? interrompit Molière en s’approchant du poète, dont il avait entendu l’aparté.

– 197 –


– Je dis que je ne serai jamais qu’un âne, mon cher confrère, répondit La Fontaine avec un gros soupir et les yeux tout bouffis de tristesse. Oui, mon ami, continua-t-il avec une tristesse croissante, il paraît que je rime lâchement.


– C’est un tort.


– Vous voyez bien ! Je suis un faquin !


– Qui a dit cela ?


– Parbleu ! c’est Pélisson. N’est-ce pas, Pélisson ?


Pélisson, replongé dans sa composition, se garda bien de répondre.


– Mais, si Pélisson a dit que vous étiez un faquin s’écria Molière, Pélisson vous a gravement offensé.


– Vous croyez ?…


– Ah ! mon cher, je vous conseille, puisque vous êtes gentilhomme, de ne pas laisser impunie une pareille injure.


– Heu ! fit La Fontaine.


– Vous êtes-vous jamais battu ?


– Une fois, mon ami, avec un lieutenant de chevau-légers.


– Que vous avait-il fait ?


– Il paraît qu’il avait séduit ma femme.


– 198 –


– Ah ! ah ! dit Molière pâlissant légèrement.


Mais comme, à l’aveu formulé par La Fontaine, les autres s’étaient retournés, Molière garda sur ses lèvres le sourire railleur qui avait failli s’en effacer, et, continuant de faire parler La Fontaine :


– Et qu’est-il résulté de ce duel ?


– Il est résulté que, sur le terrain, mon adversaire me désarma, puis me fit des excuses, me promettant de ne plus remettre les pieds à la maison.


– Et vous vous tîntes pour satisfait ? demanda Molière.