Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 21


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Grimaud remercia d’Artagnan par une grimace qui avait visiblement l’intention d’être un sourire, et il accompagna les deux amis jusqu’à la portière. Athos monta le premier ; d’Artagnan le suivit sans avoir rien dit au cocher. Ce départ, tout simple et sans autre démonstration, ne fit aucune sensation dans le voisinage.

Lorsque le carrosse eut atteint les quais :


– Vous me menez à la Bastille, à ce que je vois ? dit Athos.


– Moi ? dit d’Artagnan. Je vous mène où vous voulez aller, pas ailleurs.


– Comment cela ? fit le comte surpris.


– Pardieu ! dit d’Artagnan, vous comprenez bien, mon cher comte, que je ne me suis chargé de la commission que pour que vous en fassiez à votre fantaisie. Vous ne vous attendez pas à ce que je vous fasse écrouer comme cela brutalement, sans réflexion. Si je n’avais pas prévu cela, j’eusse laissé faire M. le capitaine des gardes.


– Ainsi ?… demanda Athos.


– Ainsi, je vous le répète, nous allons où vous voulez.


– Cher ami, dit Athos en embrassant d’Artagnan, je vous reconnais bien là.


– Dame ! il me semble que c’est tout simple. Le cocher va vous mener à la barrière du Cours-la-Reine ; vous y trouverez un cheval que j’ai ordonné de tenir tout prêt, avec ce cheval, vous ferez trois postes tout d’une traite, et, moi, j’aurai soin de ne rentrer chez le roi, pour lui dire que vous êtes parti, qu’au moment où il sera impossible de vous joindre. Pendant ce temps, vous aurez gagné Le Havre, et, du Havre, l’Angleterre, où vous trouverez la jolie maison que m’a donnée mon ami M. Monck, sans parler de l’hospitalité que

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le roi Charles ne manquera pas de vous offrir… Eh bien ! que dites-vous de ce projet ?


– Menez-moi à la Bastille, dit Athos en souriant.


– Mauvaise tête ! dit d’Artagnan ; réfléchissez donc.


– Quoi ?


– Que vous n’avez plus vingt ans. Croyez-moi, mon ami, je vous parle d’après moi. Une prison est mortelle aux gens de notre âge.

Non, non, je ne souffrirai pas que vous languissiez en prison. Rien que d’y penser, la tête m’en tourne !


– Ami, répondit Athos, Dieu m’a fait, par bonheur, aussi fort de corps que d’esprit Croyez-moi, je serai fort jusqu’à mon dernier soupir.


– Mais ce n’est pas de la force, mon cher, c’est de la folie.


– Non, d’Artagnan, c’est une raison suprême. Ne croyez pas que je discute le moins du monde avec vous cette question de savoir si vous vous perdriez en me sauvant. J’eusse fait ce que vous faites, si la fuite eût été dans mes convenances. J’eusse donc accepté de vous ce que, sans aucun doute, en pareille circonstance, vous eussiez accepté de moi. Non ! je vous connais trop pour effleurer seulement ce sujet.