Le vicomte de Bragelonne. Tome IV (Дюма) - страница 22


– Ah ! si vous me laissiez faire, dit d’Artagnan, comme j’enverrais le roi courir après vous !


– Il est le roi, cher ami.


– Oh ! cela m’est bien égal ; et, tout roi qu’il est, je lui répondrais parfaitement : « Sire, emprisonnez, exilez, tuez tout en France et en Europe ; ordonnez-moi d’arrêter et de poignarder qui

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vous voudrez, fût-ce Monsieur, votre frère ; mais ne touchez jamais à un des quatre mousquetaires, ou sinon, mordioux !… »


– Cher ami, répondit Athos avec calme, je voudrais vous persuader d’une chose, c’est que je désire être arrêté, c’est que je tiens à une arrestation par dessus tout.


D’Artagnan fit un mouvement d’épaules.


– Que voulez-vous ! continua Athos, c’est ainsi : vous me laisseriez aller, que je reviendrais de moi-même me constituer prisonnier. Je veux prouver à ce jeune homme que l’éclat de sa couronne étourdit, je veux lui prouver qu’il n’est le premier des hommes qu’à la condition d’en être le plus généreux et le plus sage.

Il me punit, il m’emprisonne, il me torture, soit ! Il abuse, et je veux lui faire savoir ce que c’est qu’un remords, en attendant que Dieu lui apprenne ce que c’est qu’un châtiment.


– Mon ami, répondit d’Artagnan, je sais trop que, lorsque vous avez dit non, c’est non. Je n’insiste plus ; vous voulez aller à la Bastille ?


– Je le veux.


– Allons-y !… À la Bastille ! continua d’Artagnan en s’adressant au cocher.


Et, se rejetant dans le carrosse, il mâcha sa moustache avec un acharnement qui, pour Athos, signifiait une résolution prise ou en train de naître.


Le silence se fit dans le carrosse, qui continua de rouler, mais pas plus vite, pas plus lentement. Athos reprit la main du mousquetaire.


– Vous n’êtes point fâché contre moi, d’Artagnan ? dit-il.

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– Moi ? Eh ! pardieu ! non. Ce que vous faites par héroïsme, vous, je l’eusse fait, moi, par entêtement.


– Mais vous êtes bien d’avis que Dieu me vengera, n’est-ce pas, d’Artagnan ?


– Et je connais sur la terre des gens qui aideront Dieu, dit le capitaine.


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Chapitre CCII – Trois convives étonnés de

souper ensemble


Le carrosse était arrivé devant la première porte de la Bastille.

Un factionnaire l’arrêta, et d’Artagnan n’eut qu’un mot à dire pour que la consigne fût levée. Le carrosse entra donc.


Tandis que l’on suivait le grand chemin couvert qui conduisait à la cour du Gouvernement, d’Artagnan dont l’œil de lynx voyait tout, même à travers les murs, s’écria tout à coup :


– Eh ! qu’est-ce que je vois ?


– Bon ! dit tranquillement Athos, qui voyez-vous, mon ami ?


– Regardez donc là-bas !